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Le journal de Soa Hélène
20 décembre 2008

Noël

Le temps du mauve ne dure guère, et déjà c'est le goût du rouge, l'arrivée des letchis. Ils se répandent en soubiques fatiguées à chaque carrefour, bientôt rejoints par les pacotilles chinoises qui marquent la proximité des fêtes. Alors la ville devient folle. Les centres commerciaux de Behoririka, véritables ruches sur plusieurs niveaux, se remplissent de convoitise et d'agitation, tout cela clignote, scintille et la même musique électronique de « Douce nuit » est serinée invariablement d'une alvéole à l'autre. Les autorités ont interdit la vente de véritables sapins dans la capitale, afin d'éviter les abattages sauvages qui défiguraient les bois alentour, et des merveilles en sisal blanc parcourent les artères sur les épaules des colporteurs, trouvaille digne des meilleurs stylistes qui ferait fureur dans les boutiques parisiennes branchées. Mon nid d'aigle se pare lui aussi d'un arbre blanc, qui se confondrait avec les murs, s'il n'y avait la guirlande lumineuse pour le bijouter.

IMGA1022

 

Noël s'éternise en obligations familiales, de visites, de cultes, de chorales et de services. Nos voisins se disent fatigués par tant de devoirs à remplir. Notre Noël est populaire, on traîne du côté d'Ambohijatovo, où le parc est envahi par les parieurs de tous âges, beaucoup de mineurs, qui ouvrent de grands yeux sur le destin d'une « roulette », une roue verticale de loterie, une grille de loto-quine ou un chamboule-tout. Les manèges minimalistes, avions de bois et cabines de pousse-pousse, sont mis en branle par la vigueur de jeunes frimeurs, qui dansent et se contorsionnent pour éviter au dernier moment les nacelles qu'ils lancent sans ménagement. Le groupe électrogène ne sert qu'à donner la cadence car du lancer à l'arrêt, tout est mu à l'huile de coude. Du côté d'Analakely, on déploie des « grandes roues » plutôt mignonnes, et les balancelles accueillent des Pères Noël peu crédibles qui se font photographier avec les familles au milieu d'un grand renfort de Mickeys, mini-motos, voitures à pédales et toujours, sapins scintillants. Tout est bloqué par les embouteillages et même à pied, on circule à grand-peine. J'imagine qu'une telle frénésie animait les fêtes foraines des années 50 dans la France de l'après-guerre, et je ne peux m'empêcher de comparer avec les foires d'aujourd'hui, où la débauche de manèges à sensations fortes ne parvient plus à enthousiasmer des badauds blasés.

 

Pour l'occasion, nous nous rendons avec JR au temple familial, assister à la veillée du 24 décembre. La chorale est au point, et la musique serait émouvante si elle se laissait entendre, car les jeunes ne renoncent pas à leurs conversations téléphoniques, recevant les appels et n'hésitant pas à en donner. JR est scandalisé par tant de laisser-aller, inconcevable à son époque. Mais quelques jours plus tôt, il a eu d'autres raisons d'être scandalisé : le Président a interdit d'émission la chaîne télévisée du maire, opposant qui lui fait de l'ombre. La rumeur s'empare des conversations, on parle d'un nouveau 2002, un renversement d'initiative populaire, qui débuterait par un culte œcuménique à Ambohijatovo. La politique agite à nouveau les langues, on évoque une possible grève générale, des noms sont avancés pour la succession, Andry, Ny Hasina...

 

Un brouillard épais obscurcit l'horizon sur la grande plaine, et ce Noël sans averse n'est pas le seul sujet d'étonnement.

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