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Le journal de Soa Hélène
16 août 2011

Dodo rit fort

 

Alain M

Que vais-je faire de cet immense temps que je me suis mis de côté ?

Jouer peut-être, oui, mais à quoi ?

Aux confins de l'île s'étendait une forêt sombre, peuplée de drolatiques oiseaux. Aux premières heures de son insularité, Robinson avait occis quelques-uns de ces bipèdes, trop lourds pour s'envoler, trop confiants pour s'enfuir. Mais leur chair se révéla si fade, si grasse et écoeurante, qu'il trouva bien vite des viandes plus savoureuses à se mettre sous la dent.

La vacuité de ses jours lui en laissant le loisir, Robinson se prit à imaginer une occupation aussi insolite qu'inutile (on la désignerait plus tard sous le joli nom de dare-dare au dodo et la chasse au dahu n'en est qu'un avatar).

Il partait de nuit, muni d'un solide bâton, et traquait le dronte en parvenant à se faire peur avec les murmures des bois et les reflets de lune. Hélas, les drontes n'étaient pas si nombreux. Son nouveau jeu lui plaisait tant que Robinson passa ainsi plusieurs mois, à dormir le jour et vadrouiller dans l'obscurité. Avec le temps, la chasse s'avérait plus ardue car les drontes se raréfiaient. Et il arriva une nuit où Robinson n'en débusqua plus un seul : les dodos ridicules avaient disparu de l'île.

Robinson retourna à son oisiveté, et finit par se lever dans la matinée. C'est alors qu'il prit conscience d'une menace nouvelle. Les chairs putréfiées des disparus étaient devenues autant de nids à mouches : les larves y grouillaient par millions, et durant tout le jour, les insectes s'abattaient en nuées sur les provisions. Fi de l'oisiveté, il fallait réagir, car les stocks s'avariaient et tout serait bientôt à recommencer.

Reprenant son courage, Robinson entreprenait bientôt une tâche titanesque : l'enterrement des dodos. Et ce n'était point pari facile, car l'oiseau pouvait peser plus de cent cinquante livres. Avec humilité, Robinson creusait, creusait, creusait sans relâche, afin de soustraire son trésor aux nuées noires des dévoreuses. L'image des dodos décimés commença à le hanter. Il fora tant et tant l'île qu'il en épousa la terre : tout son être fut bientôt imprégné d'argile, il s'éprit de sa douceur, il adopta sa couleur.

Et lorsque, épuisé, il contempla le sol labouré – tous les dodos y avaient trouvé sépulture – il comprit que là serait son occupation, dans le plaisir de la matière. Alors, muni de ses deux mains, il modela dans la terre la silhouette des disparus, et aussi celles d'animaux de son souvenir, et pourquoi pas, les figûres des êtres de son avenir.

C'est ainsi que Robinson trouva sa voie en création.

Et comme Ietsé bien avant lui, il enfanta les êtres pour lui tenir compagnie.

Ietsé qui, comme chacun sait, est notre ancêtre à tous, à nous qui peuplons cette île.


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