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Le journal de Soa Hélène
19 août 2011

Dodo miné

gégène

 

 

Il fut un temps, bien avant l'ère du Goul', où les dodos avaient de l'envergure.

C'était alors un peuple migrateur, vadrouillant du Nord au Sud selon les saisons, et d'Ouest en Est selon leurs appêtits, insatiables de découvertes. Car les dodos se montraient friands de tout comprendre, avides de rencontres et d'horizons inconnus.

Pour les autres volatiles, plus prévisibles dans leurs déplacements, les dodos c'étaient en somme de curieux nomades, autant que des nomades curieux. Cette insoutenable liberté finit par agacer : on pouvait croiser les drontes à peu près n'importe où, absolument n'importe quand, quel désordre ! Les oiseaux se concertèrent. On décida de réglementer les migrations. On prétexta de fâcheuses collisions, des conséquences en santé publique, bref l'intérêt général. Les oiseaux érigèrent les habitudes de la majorité en bonne conduite pour la totalité.

Au début les dodos ne s'y attardèrent pas. A peine ces tribulations chatouillèrent-elles leurs oreilles. Leur monde était si vaste, si éblouissant. Mais peu à peu l'ostracisme se précisa. Ils se trouvèrent indésirables sur telle île, conspués dans telle ville. Alors seulement ils prirent conscience de la nouvelle réalité qui s'imposait : voler à contre-courant c'était devenir délinquant.

Les premières sanctions s'appliquèrent ; sous la menace de les occir, c'est leurs ailes que l'on se mit à raccourcir. Une longueur de moins à chaque vagabondage… et les dodos ne savaient pas s'empêcher de vadrouiller. Leurs ailes devinrent vite ridicules, mais leur soif d'aventure, elle, était toujours là. Ils avaient connu de telles ivresses, de telles vitesses, se contraindre à la routine c'était pire que tout. Alors ils s'amputèrent. En quelques générations, ils avaient fait de ce nouveau rite leur tradition. Ils coupaient les ailes des dodillons avant leur premier envol, persuadés qu'ainsi les petits parviendraient à supporter l'ennui de leurs existences programmées. Et quelques générations plus tard, les ailes inutiles poussaient naturellement atrophiées.

Avec le vol, les dodos avaient perdu le rire, et leur bel enthousiasme. Ils étaient devenus amers, amorphes ou colères. Alors quand le grand prédateur surgit dans leur existence, ils ne manifestèrent pas vraiment de résistance. L'ennui les avait rendus gras et lents, tristes et parfois méchants. C'étaient des oiseaux impopulaires. Ils allèrent remplir les panses affamées sans provoquer le moindre regret chez leurs congénères.

C'est pourquoi ils disparurent pour de bon. Sur cette île, notre île à tous.

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