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Le journal de Soa Hélène
15 septembre 2008

De la prison argentée

Chez_Aina_0109

Un bleu menteur se laisse découper par les volutes forgées censées défendre les privilèges. Le trottoir n'est pas si loin, juste en haut des pavés, pas la plage non, le transat de la rue, macadam défoncé et fumées noires. Le bleu menteur illumine les oxydes lie-de-vin des façades ; lie-de-vie sur les marches du palais. Comment est-ce pensable ? Comment cet équilibre  impossible est-il envisageable ? Est-ce parce qu'on leur interdit tout petits d'élever la voix que les citadins sont si résignés ? Je cherche les prémices d'une révolution que plus personne ne pense souhaitable, ni même imaginable. Je cherche un début de rébellion, un mendiant en colère, un chauffeur qui file avec la bagnole, mais rien, aucune vélléité pour troubler cet ordre-là.

 

J'ai prêté deux mille cinq au chauffeur, pour du crédit téléphonique. Il me les rend l'après-midi, j'hésite, je pourrais bien les lui laisser, ces un franc et vingt cinq centimes, je m'en fiche vraiment ; et puis j'accepte le remboursement, sinon la prochaine fois il pensera naturel d'emprunter sans me rendre ; Toto me dit plus tard que j'ai bien fait.

 

Certains nouveaux riches font le plein de leur 4x4 et laissent dans la main du pompiste 400000 ariary, deux millions de fmg, mille francs, cent cinquante euros, cinq mois de salaire du pompiste. Pourquoi le pompiste ne coupe-t-il pas la gorge du riche pour s'enfuir avec la caisse ? Toto dit que l'économie est souterraine, personne ne peut vivre en ville avec les trente euros du smic, alors il doit forcément y avoir d'autres ressources, de celles qu'on ignore. Toujours sur le fil du rasoir, entre rire d'être en vie et désespoir de ne pas survivre. Toujours aimable et souriant. Voilà que je me malgachise, l'argent est le principal sujet de ma conversation.

 

Comment pourrais-je imaginer me plaindre, semée dans cette misère comme un arbre du voyageur en plein désert. Comment pourrais-je ne pas exulter de bonheur, avec ma table mise et les assiettes pleines ? Avec cet appartement de luxe à 25 euros la nuit ? Avec ce chauffeur qui me trimballe où l'envie me pousse ? Comment pourrais-je trouver cette vie-là déprimante ? Ce serait vraiment trop d'obscénité.

 

Je m'appelle Soa Hélène. Lorsque mon époux se faisait appeler TsyKanto (c'est pas très beau), j'étais Tsimaninona (c'est pas bien grave), nous refaisions l'art et la manière de Tana. Génétiquement, mon mari est resté le même, mais son habit a radicalement changé, et moi à ce jour je me surnommerais plutôt Tsitiko, celle qui n'aime pas, un genre de Stroumpf grognon au féminin. Du poil à gratter pour un président en armure, qui s'en fout. Puisqu'il aime son pays lui.

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